Le Fonds d’éducation Greenpeace Canada achève présentement son premier travail d’enquête sur l’influence des entreprises de combustibles fossiles au Canada. Rendu possible grâce au soutien généreux de la Fondation de la famille Trottier et réalisé par Greenpeace Canada, ce projet de deux ans constitue un pas en avant important vers la réalisation de notre mission, qui consiste à donner aux Canadien·nes des informations sur les changements climatiques afin d’influencer les politiques publiques et de proposer des solutions à la crise climatique. Dans ce blogue, nous vous présentons Keith Stewart, stratège principal en matière de climat et d’énergie chez Greenpeace Canada, qui nous fait part de ses observations sur le projet et de ce que ce travail représente pour lui dans le cadre d’un entretien avec Jackie Gallagher, directrice du Fonds d’éducation Greenpeace Canada.
JG : Bonjour Keith! Je suis ravie de vous présenter à la communauté du Fonds d’éducation Greenpeace Canada. Pouvez-vous nous parler de votre parcours chez Greenpeace et de votre implication dans le mouvement climatique au sens large?
KS : Je fais partie de l’équipe Climat de Greenpeace depuis maintenant 14 ans, mais je travaille à plein temps dans le domaine de la défense et de la recherche climatique depuis 25 ans. Je dois tout cela à Stephen Lewis, ancien ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies, car en 1990, je l’ai entendu parler de cet enjeu qui m’était alors inconnu et qu’il appelait le réchauffement climatique. Cela m’a bouleversé et, après avoir travaillé quelques années pour un groupe étudiant, je suis retourné aux études pour faire un doctorat en politique environnementale. Pendant mes études, j’ai commencé à m’impliquer bénévolement auprès de la Toronto Environmental Alliance, puis j’ai rejoint son personnel après l’obtention de mon diplôme en 1999. J’y ai travaillé pendant sept ans, puis j’ai passé quatre ans au sein du WWF-Canada avant d’être finalement embauché par Greenpeace alors que je postulais pour un emploi ici pour la troisième fois. J’enseigne encore un cours par année à l’Université de Toronto pour maintenir un lien avec le milieu universitaire, car j’aime interagir avec les étudiant·es.
JG : Merci pour ce partage, Keith. Cela fait longtemps que vous œuvrez pour les gens et la planète. La crise climatique comporte tant de défis qu’elle peut susciter un sentiment d’impuissance chez de nombreuses personnes. Je sais que je me sens parfois dépassée par l’ampleur de la situation. Comment faites-vous pour garder espoir et consacrer autant de temps et d’énergie à ce travail difficile? Avez-vous des conseils à donner aux autres?
KS : Il est tout à fait normal de ressentir de la tristesse, de la frustration, de la colère ou toute autre émotion face à ce qui se passe.
Mais pour moi, l’espoir n’est pas une émotion. L’espoir est une pratique que nous devons appliquer tous les jours. Cela signifie de se lever le matin en sachant qu’il nous faudra déployer tous nos efforts pour empêcher la destruction de la splendeur du monde naturel et l’augmentation des niveaux de violence et d’inégalité dans le futur.
L’espoir signifie qu’un autre monde est possible, mais il n’est pas garanti. C’est pourquoi je travaille pour Greenpeace, pour essayer de fair un difference avec d’autres personnes qui se sentent le même. Si vous ne faites pas encore partie de ce mouvement, je vous invite à nous rejoindre.
L’espoir appelle à l’action, et l’action est impossible sans espoir.
L’un des aspects à la fois positifs et négatifs des changements climatiques est que le problème est tellement vaste que tout le monde peut apporter sa contribution. Le fait qu’il y ait tant à faire a quelque chose de libérateur, alors mobilisez-vous en tirant parti de vos points forts.
Si vous excellez dans les discours publics, alors inspirez les gens – même s’il ne s’agit que de votre entourage (surtout s’il s’agit de votre entourage!).
Si vous avez une belle plume, trouvez votre public.
Si vous êtes artiste, il y a tant de choses à faire pour aborder les changements climatiques à travers une perspective culturelle.
Si vous êtes habile de vos mains, rénovez de vieux bâtiments ou construisez des fermes solaires.
J’ajouterais que vous devriez faire ce à quoi vous excellez avec d’autres personnes, car c’est en travaillant ensemble, notamment par l’intermédiaire d’organisations telles que Greenpeace, que nous ferons avancer les choses.
JG : Donc, pour résumer : tirer parti de nos points forts, travailler avec d’autres personnes, et l’espoir est une pratique qui devrait être appliquée quotidiennement. Je me sens déjà mieux! Pouvez-vous nous parler de l’enquête et nous dire ce qui vous a particulièrement interpellé dans ce projet de recherche?
KS : Ce projet nous a permis de faire le point sur les nouvelles façons dont le secteur pétrolier et gazier tente de façonner nos politiques. Il fut un temps où l’industrie pouvait compter sur quelques lobbyistes aux relations bien établies et opérant en coulisses à Ottawa et à Edmonton pour obtenir ce qu’elle voulait, car – selon ses dires – nous avions besoin de ses produits. Mais maintenant que nous disposons d’une énergie éolienne et solaire bon marché pour alimenter les véhicules électriques et les thermopompes, elle a davantage besoin de nous que nous n’avons besoin d’elle.
Les systèmes énergétiques plus propres que Greenpeace promeut depuis des décennies constituent désormais une menace existentielle pour les entreprises pétrolières et gazières qui n’opèrent pas de transition vers les énergies renouvelables, si bien qu’elles répliquent en recourant à de nouvelles tactiques. Notre chercheuse principale, Nola Poirier, a travaillé avec notre équipe chevronnée pour effectuer des demandes d’accès à l’information afin de découvrir ce qui se passe derrière les portes closes. Nous avons documenté le vaste réseau de lobbying de l’industrie pétrolière et la manière dont elle travaille par l’intermédiaire et de concert avec d’autres acteurs tels que les banques, les cabinets juridiques et les universités. Nous avons également exploré en profondeur le phénomène de l’écoblanchiment, qui ne cesse de gagner en importance alors que les entreprises pétrolières tentent de se présenter comme faisant partie intégrante de toute solution climatique.
Pour moi, la retombée principale du projet a été lorsque le groupe de pression pétrolier le plus puissant au pays, l’Alliance nouvelles voies, a supprimé le contenu de son site Web et de ses réseaux sociaux après l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation sur la véracité publicitaire. Nous avons mené des recherches et déposé une plainte officielle auprès du Bureau de la concurrence au sujet de la campagne publicitaire coûteuse lancée par l’Alliance nouvelles voies, qui prétendait que l’industrie des sables bitumineux était en voie d’atteindre la carboneutralité. Bien que nous soyons toujours dans l’attente d’une décision finale du Bureau de la concurrence, notre plainte contre Alliance nouvelles voies a influencé les nouvelles règles du gouvernement fédéral contre l’écoblanchiment, lesquelles ont amené des entreprises pétrolières à revenir sur leurs affirmations environnementales.
JG : Merci pour ce partage. Que vous reste-t-il à accomplir dans le cadre de ce projet avant qu’il ne s’achève à la fin de l’année et à quoi pourrait ressembler sa prochaine phase?
KS : Nous poursuivons nos efforts pour mettre fin à l’écoblanchiment en soumettant un mémoire à la consultation du Bureau de la concurrence sur la manière dont il appliquera les nouveaux règlements. Nous continuons également à assurer le suivi de notre plainte contre Alliance nouvelles voies et espérons obtenir une décision d’ici la fin de l’année.
En ce qui concerne la prochaine phase du projet, je pense que nous examinerons comment certains acteurs du lobby pétrolier travaillent avec ce que nous appelons des groupes similitantistes (de fausses organisations populaires parrainées par des pollueurs) et des éléments de l’extrême droite pour faire avancer leur programme. Il s’agit d’une tendance inquiétante qui a vu le jour aux États-Unis, mais qui est en train de prendre de l’ampleur ici.
JG : Sur la voie d’un avenir plus vert et pacifique, les activités obstructionnistes de ce genre méritent d’être examinées de plus près. Merci d’avoir pris le temps de nous parler de ce projet important, Keith. Il est inspirant de découvrir l’impact positif de ce projet de recherche climatique, rendu possible grâce à vous et au reste de l’équipe. J’attends déjà avec impatience la prochaine mise à jour!
KS: Merci Jackie, ce fut un plaisir.